Je m’appelais Archibald et elle s’appelait Violette.
J’étais vêtu d’un vieux jean troué, d’une paire de bottes poussiéreuses, de quelques bracelets et colliers en acier. Des lunettes de soleil. Mes larges épaules étaient zébrées de tatouages tribaux. Je conduisais nonchalamment une vieille bécane rafistolée sur une route en mauvais état. Derrière moi, la tête rejetée en arrière, souriant de toutes ses dents, Violette ne portait rien d’autre qu’une petite robe à fleur dont le tissu léger se soulevait au gré des bourrasques.
De part et d’autre de l’infinie ligne droite sur laquelle nous roulions, s’étendait un ocre désert rocailleux duquel s’élevaient à intervalles irréguliers quelques tornades de sable.
Je sifflotais distraitement un air familier, dont j’essaye toujours, en vain, de me souvenir.
Rien ne pressait, rien ne manquait.
C’était un instant de complicité partagée.
- Dis-moi, Arch’, me lança Violette en enfouissant sa bouille dans ma longue chevelure pour atteindre mon oreille, pourquoi est-ce que tu m’appelles « petite crotte » ?
En guise de réponse, je fis une moue au ciel.
Ma passagère ne se découragea pas pour autant.
« Est-ce que ça a un rapport avec mon prénom ? Parce qu’une grosse crotte, ça sent pas la violette ! Mais une petite… pourquoi pas ?
- La rose, petite crotte, répondis-je succinctement.
- Quoi, « la rose » ?
- On dit : « Ça sent pas la rose ! », pas « Ça sent pas la violette ! »
- Selon qui, mon Archibaldou ? Il faut bien que ça sente quelque chose, la violette, répliqua-t-elle en boudant. Et que certaines odeurs diffèrent de… ça. »
Je restai silencieux.
Je regardais les nuages gris sombre, d’où jaillissaient çà et là des cascades de lumière.
« C’est pas pour ça, alors, statua Violette après un temps de pause. »
Je secouai la tête de gauche à droite, sentant au passage le bout de son nez chatouiller ma joue.
« C’est parce que je suis minuscule peut-être ? Tu penses, hasarda-t-elle, qu’avec mes toutes petites fesses… je ne peux faire que de toutes petites crottes ! »
J’écarquillai les yeux derrière mes verres teintés.
« J’ai bon ? Eh bien, si c’est le cas, Baldi-balda, fanfaronna Violette, figure-toi que tu te trompes sur toute la ligne ! Moi aussi, je peux faire de très gros cacas !
- Tout le monde peut faire de très gros cacas, dis-je comme si c’était là un mot d’une sagesse infinie. »
La conversation et le Temps en restèrent là.
Nous roulions, nos peaux s’effleurant avec douceur à chaque cahot, sous le soleil invisible.
Hauts dans le ciel, deux vautours déplumés décrivaient au ralenti d’interminables cercles pour tromper l’attente qui les séparait de nos carcasses inertes.