Alors que nous sommes sans cesse arrosés
d’informations faisant état de situations catastrophiques —
face auxquelles nous n’avons d’autre choix
que de nous reconnaître comme de simples spectateurs
du déroulement tragique du monde —
et tandis qu’on nous recommande,
ou qu’on nous impose,
les petits gestes et les grandes idées qui,
s’ils sont pratiqués individuellement
dans le secret de nos vies intimes,
garantiraient notre probité morale,
et qui, collectivement,
pourraient participer
à la conquête d’un paradis terrestre,
ou, à tout le moins,
au retardement de l’inéluctable apocalypse,
nous nous berçons régulièrement de cette étrange illusion :
celle d’une forme de post-modernité,
d’une existence hors de l’histoire,
de l’exception des temps que nous vivons.
Pourtant, psychologiquement,
nous voilà face à un Trump, un Musk,
à la question du climat,
de l’aube nucléaire,
de la toute-puissance à venir de l’IA —
chacun tout aussi désarmé,
tout aussi minuscule
que le fut Ulysse face à la colère de Poséidon,
Cassandre contre la vilenie d’Apollon,
ou Arjuna dans sa discussion avec Krishna.
Notre condition actuelle est irrémédiablement soudée,
dans sa nature et dans le temps,
à la condition humaine.
Cet écart,
cette impuissance,
nos limites,
le désespoir,
le ras-le-bol,
la révolte,
l’étourdissement
qui les accompagnent —
ce sont les phénomènes habituels,
les manifestations ancestrales,
de notre confrontation
à l’inéluctable dépossession d’autorité
que représente l’expérience
d’une vie individuelle consciente
plongée au cœur du maelström
qu’est le déploiement du monde.
Nos ancêtres,
pour gérer cette composante invariable,
ont jardiné les religions
que nos sociétés modernes moquent.
Quelle est notre réponse ?