Elle m’a lancé un vilain regard de travers.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne me dois rien. Si j’ai écrit ces mots, c’est parce qu’ils me sont venus. Si je te les ai envoyés, c’est que l’envie m’en a prise. Et si tu es tombé sur un ou deux « Je t’aime » en les parcourant, merde à la fin, c’est que je suis amoureuse. Alors quoi ? Tu crois que, comme ça, parce que j’ai écrit des douceurs et que tu les as lues, ça t’a donné d’un coup tout pouvoir sur moi ? Des clous, mon pote. Oui, je t’aime. Je t’aime. De tout mon cœur même, et j’en suis fière. Heureuse aussi. C’est bon, et c’est pour moi. Ton incertitude, ton dédain ou même ta répugnance ne m’en feront pas regretter une miette.
J’ai soufflé.
Dans sa main, le crayon qu’elle tenait a pris des allures de pic à glace.
- Excuse-toi encore, pour voir…
- Non, non, je prenais juste des forces pour sauter : moi, je ne t’aime pas.
Sur son visage est apparu un air de pure sidération, comme si elle n’avait jusque-là jamais imaginé que puisse exister un type aussi peu dégourdi.
Sans prendre la peine de répondre, elle a fait demi-tour et s’est éloignée.
Dans ses empreintes de pas, on ne discernait pas la plus petite trace de regret.
Ce jour-là, lorsqu’elle disparut au coin de la rue, je songeai en grimaçant que jamais on n’aiguiserait de pointe plus perfide que celle qui me traversait le cœur.