Sa sueur rendait la roche glissante
le temps d’un battement de cœur,
puis s’évaporait en grésillant.

Ça sentait bon la pierre et le pain chauds,
la poussière et le soleil,
le grand air, la vie et la mort.

Santana se maintenait là,
immobile au-dessus du vide,
ses doigts plantés dans la paroi,
depuis trois heures au moins.

Une éternité.

La tension dans ses muscles et ses tendons
avait dépassé depuis longtemps
l’insupportable.

Il avait cessé de comprendre les signaux
que lui envoyait son corps
au bout de quelques minutes seulement.

Sa douleur s’était alors affranchie
des limites de l’entendement humain et,
telle une sonde spatiale
franchissant la frontière du système solaire,
elle naviguait désormais en solitaire,
loin de tous,
au sein d’un milieu naturel inexploré.

L’escalade n’était pourtant pas impossible.
Loin de là.
Pour un grimpeur expérimenté,
elle ne représentait pas un défi sérieux.

Santana n’aurait dû en faire qu’une bouchée.
N’importe quel amateur,
en le voyant attaquer ce pan de roche,
aurait pensé :
« En voilà un qui sera rentré à son campement avant midi … »

Seulement,
par un hasard que nul n’aurait su prévoir,
parmi la fluide infinité de positions
que son corps aurait pu adopter pour grimper cette paroi,
Santana trébucha sur celle-ci :
celle qui devait lui plaire déraisonnablement.

Pour lui,
ce fut comme s’il avait trouvé
sa juste place dans quelque mécanisme primordial :
c’était là
et nulle part ailleurs
qu’il devait être,
hier déjà,
le jour de sa naissance même,
aujourd’hui enfin
et pour le reste de son existence.

Le réaliser l’emplit d’abord
d’un bonheur indicible
dont il se délecta avec avidité.

À sa félicité
se mêla bientôt l’effort nécessaire
pour rester dans les bornes
de cette case imaginaire.

À l’effort succéda la douleur.
À la douleur, la souffrance.
À la souffrance, une forme de folie.
À la folie, évidemment, le trépas.

Tout au long de cet étrange suicide,
Santana conserva au creux de son cœur,
comme on protège un trésor précieux,
une joie dévastatrice
qui jamais ne recula
devant le brouillard
toujours plus dense
de son agonie volontaire.